L’ARLEQUIN, PIERROT OU COLOMBINE

1930

Médium: Fer, forgé, soudé

Dimensions: 43 x 30 x 30 cm

Un Arlequin, loin de la réalité observée

Malgré le fait que cette sculpture ait parfois été appelée “Pierrot” ou même “Colombine”, le costume en losanges indique clairement que le personnage représenté en forme de buste est bien l’Arlequin. Il n’y a ni masses ni volumes fermés. Le corps est structuré par la rencontre en vertical de deux plans, l’un d’entre eux percé par le motif des losanges. Deux formes tubulaires en forme d’arc et un grand triangle formé par des tiges de fer suggèrent d’autres plans obliques virtuels. Le triangle évoque le chapeau de l’Arlequin. En ce plan s’articule le visage, formé par une planche de fer coupé en forme de lentille avec une sorte d’ouverture dans le menton. Les yeux sont deux perforations rondes et le nez un petit moignon de fer soudé. Derrière ce masque lunaire, tout plat, une forme conique crée un orifice d’ombre.

Un petit groupe de dessins intermédiaires réalisés autour de 1930 nous permettent de comprendre que l’Arlequin se dérive du Baiser, une sculpture également analysée sur ce site web. Néanmoins, L’Arlequin est plus tridimensionnel et complexe que l’œuvre précédente. Alors que Le Baiser implique une vision surtout frontale, L’Arlequin peut être contemplée depuis divers angles et offre, depuis chacun d’entre eux, une vision clairement différente.

L’oeuvre la plus cubiste de González

Souvent considérée comme la plus cubiste des sculptures de González, L’Arlequin a été mis en relation avec l’œuvre de Picasso par certains historiens. La plausibilité de cette association se renforce par le fait que González était en train de collaborer en 1930 avec son confrère espagnol dans la réalisation de sculptures métalliques destinées au monument funéraire du poète Guillaume Apollinaire. La figure de l’Arlequin, qui avait été l’un des thèmes récurrents de Picasso au fil des premières années du siècle, réapparaît au sein de son œuvre entre 1928 et 1930, probablement suscité par le souvenir d’Apollinaire. En effet, dans sa poésie, il y a des allusions fréquentes aux personnages de la Commedia dell’arte.

Cependant, la figure de l’Arlequin n’est pas exclusive à Picasso. Elle se retrouve aussi dans les années 20 dans l’œuvre de beaucoup d’autres artistes cubistes que González connait, comme Lipchitz, Severini, Gris, Ozenfant, Metzinger ou Gleizes. Et le style de Picasso à cette époque est désormais un style informel, peuplé de formes irrégulières et imprégné d’expressivité. Autrement dit, elle ne se caractérise plus par le cubisme. Rien de cette irrégularité ni de cette expressivité se retrouve dans l’Arlequin de González , qui est désormais beaucoup plus proche stylistiquement aux transparences géométriques du cubisme de Gris, Metzinger et Gleizes que du langage de Picasso du moment.

Une prise de distance avec l’abstraction géométrique

Arlequin et Le baiser constituent deux des œuvres les plus importantes de l’exposition de sculpture métallique de González organisée à la Galerie de France en mai 1931. Au contraire de l’inspiration primitiviste ou archaïsante de la plupart des œuvres exposées à cette occasion, ces deux sculptures indiquent non seulement une influence du cubisme, mais aussi que González se retrouvait, comme d’autres artistes de sa génération, disposé à considérer les propositions du groupe Cercle et Carré en faveur de l’abstraction géométrique. Cela se voit le plus clairement dans Le baiser, l’œuvre de González la plus proche de cette tendance artistique, et aussi dans l’Arlequin, réalisée la même année, peu de temps après Le baiser. Néanmoins, le fait l’Arlequin soit moins abstrait que l’œuvre précédente indique que González commençait déjà à s’éloigner de l’abstraction géométrique.

L’Arlequin, 1930, Kunsthaus Zurich

Texte de Tomás Llorens, traduit de l’espagnol par Amanda Herold-Marme