Pour la première fois depuis 50 ans, Paris accueille une importante rétrospective de l’artiste abstrait Hans Hartung, au Musée d’art moderne de la ville de Paris (MAMVP, du 11 octobre 2019 au 1er mars 2020). Il s’agit d’une occasion idéale pour retracer non seulement sa carrière importante, mais aussi les liens qui unissent l’artiste d’origine allemande à la famille González.
Les quelques 300 oeuvres exposées recouvrent la totalité de la carrière de Hartung. Elles mettent en relief à la fois son rôle comme pionnier de l’art abstrait en France, et l’expérimentation constante entreprise par l’artiste aussi bien dans le champ de la peinture que dans ses pratiques complémentaires, comme la photographie, la gravure, le dessin et la céramique.
L’exposition laisse entrevoir aussi la proximité de Hartung avec la famille González. L’histoire commune commence en 1937, lorsque Hartung se présente à Julio González, dont il admirait le travail. González accueille le jeune artiste dans son atelier à Arcueil, et l’initie à la soudure autogène, sa technique signature dont il se sert pour révolutionner la sculpture du XXe siècle.
La sculpture en fer réalisée par Hartung avec l’aide de González, présentée dans l’exposition, témoigne de cet apprentissage et aussi de son style abstrait caractéristique. González avait l’habitude de transmettre sa technique signature de soudure à d’autres artistes. Par exemple, il y avait aussi initié son ami et compatriote Pablo Picasso à la fin des années 1920, dans le cadre de leur collaboration autour des sculptures métalliques destinées au monument funéraire de Guillaume Apollinaire. González avait également aidé sa fille, Roberta, à créer une Maternité en fer vers 1936. Cette oeuvre grandeur nature était un prélude à sa propre Montserrat, la paysanne catalane en fer qu’il présente au monde au même moment que Guernica de Picasso, lors de l’Exposition universel de 1937.
La sculpture de Hartung est très différente de La Montserrat de Julio González. Les oeuvres sont révélatrices des deux visions artistiques distinctes défendues par chacun d’entre eux. En effet, malgré leur respect mutuel, Hartung était un farouche défenseur de l’abstraction, alors que González croyait en la nécessité absolue de prendre la Nature comme point de départ pour toute création artistique. Comme le montre sa Maternité en fer, Roberta González adhère à ce stade à la philosophie créatrice de son père. Cependant, son oeuvre plus tardivement montrera l’influence du style abstrait de cet artiste allemand qui deviendra un hôte régulier chez les González. Selon Roberta González, Hartung lui a « ouvert une fenêtre sur un univers pictural nouveau ».
En effet, Hartung se rapproche aussi de Roberta González. L’exposition montre des photos du début de leur relation amoureuse, dont certaines sont conservées dans les archives privées de la Succession Julio González.
R. González, Jeune fille sévère, 1937 Roberta González, Sans titre, 1939
Depuis le début de la guerre d’Espagne en 1936, les oeuvres de Roberta avaient été largement influencées par la réponse plastique de son père devant la violence du conflit. Ses tableaux et dessins étaient remplis de femmes implorant ou hurlant, dont les formes étaient fragmentées ou défigurées par sa technique cubo-surréaliste destructrice, à la manière de la guerre.
Ils exposent leurs oeuvres ensemble à la galerie Henriette Gomez en 1939, puis ils se marient en 1939. Néanmoins, leur bonheur sera de courte durée, interrompu par le début de la Deuxième guerre mondiale, qui entraînera plusieurs séparations.
Hartung en uniforme de légionnaire, Algérie, 1940 Hartung et Roberta González-Hartung, 1942, Lasbouygues
D’abord, Hartung, farouche antifasciste, rejoint la Légion étrangère. Ensuite, dans l’impossibilité de rentrer dans le Paris encore occupé après l’armistice, Hartung se réfugie en zone non-occupée, dans la Lot, avec toute la famille González.
Hartung, Sans titre, 1940 R. González, Vierge douleureuse, 1941
L’incertitude et l’angoisse de ces années sombres se reflètent dans les oeuvres de Hans, Roberta et Julio González. Comme l’a montré l’exposition de 2019 « Picasso et l’exil », dans la salle consacrée à la famille González-Hartung pendant la guerre, Hartung produit une série d’oeuvres « gonzaloïdes », qui représentent aussi bien des têtes dessinées et peintes que des formes sculpturales et abstraites, inspirées des sculptures et des dessins de son beau-père. Roberta poursuit dans la même lignée angoissée et avant-gardiste.
En même temps, ils dessinent tous les trois des portraits de la famille González. La présentation de ces oeuvres influencées par González au sein de la rétrospective Hartung au MAMVP permet de découvrir une parenthèse figurative peu connue dans son oeuvre, et témoigne des échanges artistiques réels entre lui et Julio González, qui décédera subitement en 1942.
R. González, Portrait de Tía Pilar, 1942 Hartung, Portrait de J. González, 1942 R. González, Portrait de mon père, 1941
Hans et Roberta sont séparés à nouveau lorsqu’il est obligé de prendre la fuite pour Espagne en 1943, lorsque les Allemands envahissent la zone sud. Emprisonné, puis relâché, il rejoint les Forces françaises libres, retourne en France, se blesse sur le champ de bataille, et finit par y perdre une jambe. Ils se retrouveront avec Roberta seulement à la fin de l’année 1944.
Après la guerre, Roberta et Hans retournent en région parisienne et reprennent leurs carrières respectives. Hans retrouve le succès qui l’avait avant le début de la guerre, et devient l’un des chefs de file de l' »Abstraction lyrique », un mouvement parisien qui préconise un art non-figuratif spontané, dynamique et expressif.
Entre-temps, Roberta González lutte pour trouver son propre style, et surmonter les épreuves de la guerre.
R. González, La supplication, 1945-46 R. González, Jeune fille pensive, 1949
Ses premières œuvres restent dans la même lignée que sa production fragmentée et angoissée des années de guerre, mais petit à petit, elle commence à expérimenter son propre langage artistique.
R. González, Sans titre, 1952 R. González, Léda no. 3, 1952
Ce nouveau style assimile à la fois la figuration défendue par son père et des éléments de l’abstraction de Hartung. Concrètement, Roberta González élabore un vocabulaire plastique composé de motifs figurés comme le soleil, le masque, le profil, la flèche et d’autres signes, qui flottent dans un espace non-défini, remplis de champs colorés réalisés avec des touches visibles et gestuelles, comme dans la peinture d’après-guerre de Hartung.
Roberta González, La tâche bleue, 1956 Roberta González, Torse ardent, 1967
Roberta Gonzalez et Hans Hartung finissent par divorcer en 1956, après que Hartung retrouve à nouveau sa première femme, Ana Eva Bergman, artiste-peintre elle aussi. Malgré leur divorce, Roberta et le couple Hartung-Bergman garderont des liens amicaux jusqu’au décès de Roberta en 1976.