Julio Gonzalez, Autoportrait, ca. 1900

Julio GONZALEZ (1876-1942)

Des débuts artisanaux barcelonais à l'avant-garde artistique parisien

Julio Gonzalez commence sa carrière en tant qu'artisan ferronnier dans l'atelier familial à Barcelone, avec son frère, Joan. Les deux suivent ensemble des cours de peinture et de dessin le soir, car ils partagent le rêve de devenir de "vrais" artistes. Ils fréquentent le milieu artistique et intellectuel barcelonais, alors en plein essor, et centré largement sur le cabaret artistique "Els Quatre Gats", fondé par les peintres Modernistes Santiago Rusinol, Ramon Casas et Miguel Utrillo.

C'est pourquoi, au décès de leur père, Joan et Julio décident de vendre l'entreprise familiale et de poursuivre leur rêve commun à Paris. Ainsi, en 1900, toute la famille Gonzalez s'installe à Montparnasse, qui devient alors le centre de l'avant-garde parisienne. Les deux frères s'intègrent rapidement dans le milieu artistique parisien. Ils y retrouvent Pablo Picasso, Manolo Hugué, Pablo Gargallo et Joaquin Torres-Garcia, des amis artistes de Barcelone, ainsi que des écrivains et critiques comme Max Jacob, pour en citer quelques exemples. Gonzalez expose pour la première fois à Paris au Salon des Indépendants de 1907, présentant six peintures.

Or, la santé fragile de Joan l'emporte en 1908. Julio est dévasté, mais la vie continue. Il se marie l'année suivante avec Louise "Jeanne" Berton, une Française qui avait posé pour lui comme modèle. Bien que leur mariage ne dure pas, ils auront une fille en 1909, Roberta Gonzalez. Après la séparation du couple, Roberta reste avec son père et ses soeurs, grandissant dans une enclave catalane à Paris.

Julio Gonzalez poursuit dans les années qui précèdent la Grande guerre son oeuvre diverse : la peinture, le dessin, les bijoux et les objets d'art en métal, et la sculpture de petit format. Il réalise sa première masque en metal repoussé en 1912. Il expose dans des divers salons parisiens, y compris le Salon d'Automne, grâce à l'influence de l'écrivain, poète et sculpteur Alexandre Mercereau, qui devient son agent en 1911. Il s'identifie en tant que peintre, décorateur et/ou sculpteur. En même temps, Gonzalez fréquente la Closerie des Lilas, café montparnassien mythique, où il échange avec ses collègues Modigliani et Brancusi, avec qui il collabore de près au fil des années. L'oeuvre de Gonzalez commence alors à attirer l'attention de collecteurs et critiques. En 1918, il apprend la technique de la soudure oxyacétylénique dans l'usine Renault où il travaille pendant la guerre ; cette technique aura un impact décisif sur sa sculpture dans les années à venir.

L'envol de l'artiste

Dans l'entre-deux-guerres, Gonzalez poursuit et perfectionne sa pratique artistique multiforme. Sa première exposition particulière a lieu en mars 1922 à la galerie Povolozky, ce qui marque le début d'une reconnaissance importante sur la scène parisienne. Dans le catalogue, son ami et agent Mercereau écrit :  "Julio González est un homme ahurissant. Doué d’une imagination éblouissante, d’une multiplicité de moyens de traduction confondante, il est peintre, sculpteur, architecte, verrier, faïencier, meublier. Il forge, martèle, repousse le fer, le cuivre, l’or, le bronze, l’argent, travaille le bois, dessine des robes et des broderies et, de plus, il est d’une telle modestie que, depuis vingt ans qu’il est arrivé de Barcelone, sa ville natale, à Paris, il se cache… qu’on peut le fréquenter dix ans sans rien connaître de ses œuvres et qu’il ne se décide à exposer, depuis très peu d’années, que contraint par des amis obstinés". Bénéficiant des retours positifs dans la presse, cette exposition particulière est suivie d'une autre en janvier 1923 à la galerie Le Camélion, en plus de la participation de l'artiste à des salons et expositions collectives à Paris et à Barcelone.

En même temps, Gonzalez expérimente. Il applique la soudure oxyacétylénique à sa sculpture en fer. Cette application innovante d'une technique industrielle à la pratique artistique permet à la sculpture de Gonzalez à s'épanouir dans l'entre-deux-guerres. En 1929, il abandonne la peinture et décide de se consacrer désormais entièrement à la sculpture. Il signe un contrat avec la galerie de France la même année, s'engageant à leur confier la totalité de sa production pour les trois prochaines années. Il y expose sa sculpture en fer pour la première fois en 1930.

Simultanément, Gonzalez et Picasso s'engagent dans une collaboration fructueuse autour de la sculpture métallique. De 1928 à 1932, ils travaillent ensemble sur des constructions sculpturales métalliques conçues par Picasso pour répondre à la commission pour le monument funéraire de Guillaume Apollinaire. En échange pour le partage de son savoir-faire en soudure autogène, cette collaboration avec Picasso, inventeur avant-gardiste par excellence, permet à Gonzalez de développer et épanouir son langage sculptural personnel, qui traduit des formes de la réalité observée en abstractions. Comme l'écrit le célèbre critique d'art André Salmon dans Gringoire le 18 mai 1934, les fers forgés de Gonzalez, visiblement "d’inspiration abstraite [...] sont autant de poésies naturelles ».

Les propos de Salmon interviennent à la suite de l'exposition "J. Gonzalez. Sculptures", une exposition personnelle qui se tient à la galerie Percier en avril-mai 1934. Dans le préface du catalogue de l'exposition, le critique d'art Maurice Raynal se réfère à Gonzalez comme "le plasticien du vide". En effet, l'application d'une technique industrielle à sa pratique artistique permet à Gonzalez d'incorporer l'espace comme élément constructif dans sa sculpture en fer.

Gonzalez expose à nouveau individuellement à la prestigieuse galerie des Cahiers d'art à la fin de l'année 1934, incitant les louanges des critiques comme Salmon, qui écrit : « […] son inspiration s’est-elle fondée sur la doctrine de Picasso ? C’est devant la petite forge de son camarade González que Picasso apprit à battre un même fer alors qu’il était encore chaud. […] Julio González a beaucoup attendu, puis il s’est beaucoup révélé d’une façon relativement précipitée. On veut espérer que cette seconde exposition situera définitivement ce très grand artiste. Il ne doit pas seulement occuper une place de choix vis-à-vis de son compatriote Gargallo faisant exprimer à la pierre ce que le premier fait exprimer au fer battu. Julio González inscrira dans l’histoire de l’art moderne son œuvre à la fois comme la plus spontanée des floraisons plastiques et la plus lucide démonstration de ce qu’on a nommé le cubisme et qui va tellement au-delà des recherches constructives de 1910 ».

Alors que sa production est certes influencée par le Cubisme, le Constructivisme, le Surréalisme et d'autres mouvements esthétiques en plein essor autour de lui sur la scène parisienne, Gonzalez refuse de se conformer entièrement à un seul courant ou style. Son processus créatif est dicté par sa seule vision personnelle. Ainsi, les oeuvres de maturité de Gonzalez son inclassables. Néanmoins, au milieu des années 1930, comme l'indique Salmon, Gonzalez semble bien positionné pour atteindre un renom définitif. Sa présence s'intensifie sur la scène parisienne et au delà, attirant notamment l'attention des conservateurs, critiques et collectionneurs américains comme Albert Gallatin, James Johnson Sweeney et Alfred Barr. Ce dernier acquiert sa "Tête dite l'Escargot" (1935) pour le Museum of Modern Art de New York en 1937.

Pris dans les tumultes de l'histoire: engagement politique et une carrière prometteuse interrompue

Toujours en 1937, Gonzalez exprime sa solidarité et soutien sur la scène internationale pour la République Espagnole sous attaque fasciste dans le cadre de la guerre d'Espagne. Comme "Guernica", sa sculpture en fer "La Montserrat", montrant une paysanne catalane déterminée et résiliente, occupe une place d'honneur au sein du Pavillon de l'Espagne républicaine dans l'Exposition Universelle de 1937. Le thème de la Montserrat reste le motif de prédilection de Gonzalez pour exprimer son désarroi devant la violence et la tragédie de la guerre, d'abord en Espagne, puis en Europe.

En effet, Gonzalez n'a pas le temps de se faire un nom avant que sa production et sa carrière sont interrompues par les tumultes du XXe siècle. Il est obligé de quitter Paris avec sa femme, Marie-Thérèse Roux, ses soeurs Lola et Pilar, sa fille, Roberta, et son gendre, Hans Hartung, au début de la guerre, s'installant dans le Lot. En effet, Hartung, un peintre abstrait d'origine allemand, était traqué par les Nazis pour avoir abandonné son pays en temps de guerre. Alors que les femmes restent dans le Lot pendant toute la guerre, Gonzalez, frustré de ne pas pouvoir poursuivre sa sculpture en fer, retourne à Paris en 1941. Il renoue le contact avec Picasso et ses amis espagnols, nombreux à rester à Paris aussi malgré les conditions difficiles. Ce sont ses compatriotes confrères, comme Picasso, Apelles Fenosa et Luis Fernandez, qui seront présents à ses obsèques à la suite de son décès soudain le 27 mars 1942. Dans l'après-guerre, pour reconnaitre son engagement envers sa patrie, ses compatriotes incluent ses oeuvres dans des expositions engagées pro-républicaines.

Alors que Gonzalez commence à être connu de son vivant par des critiques et collectionneurs avisés, son caractère timide et réservé, peu enclin à l'auto-promotion, l'empêche d'atteindre le renom qu'il mérite. Sa fille Roberta s'occupe à partir de l'après-guerre de promouvoir son oeuvre, en collaborant à l'organisation d'expositions rétrospectives à Paris, en Europe, en Amérique et en Asie. Aujourd'hui, l'oeuvre de Gonzalez est présente dans les musées, institutions et collections les plus prestigieux du monde.